[FINI] La geisha écarlate

Le fantôme d’Akai avait l’apparence d’une jeune fille. La plus belle jeune fille que le monde ai jamais vu. Ses longs cheveux noirs glissaient doucement contre sa peau écarlate douce comme la soie. Retrouvée enfoncée telle une poupée de chiffon dans une malle, exsangue du fait de ses nombreuses blessures, elle baignait dans son propre sang qui avait peu à peu marqué sa peau en profondeur.
Elle…
- Mon père, l’interrompis un petit garçon, ma raconté qu'Akai était morte noyée dans le fleuve et que sa peau avait rougie à cause de sa colère contre les hommes
Fière de lui, le petit garçon souri de toutes ses dents.
- Moi ma grand-mère ma dit qu’elle avait été enterrée vivante et qu’elle était devenue rouge car elle s’était étouffée avec la terre, renchéri une fillette
Les enfants commencèrent à se chamailler sur la fin tragique d’Akai. Levant les mains, le vieil homme parvint à attirer l’attention des enfants et le calme revint.
- Vous avez entendu des histoires fausses, Akai est…
- Comment tu sais, grand-père, que toi seul à raison ? rétorqua un garçon un peu plus âgé, l’air sceptique
- Je le sais, répondit-calmement le vieillard, car j’y étais lorsqu’elle…
- Menteur ! Cela s’est passé il y a des siècles !
- Non tu te trompe, tu n’étais pas encore né à cette époque, moi-même je n’avais que 25 ans et…
- Tu raconte n’importe quoi, l’âge t’as fait perdre l'esprit, grand-père, tu n’as pas pu voir qui lui a fait ça !
- Non en effet je ne l’ai pas vu, cela s’est passé avant même que mon grand-père ne vienne au monde, mais je vous raconte la véritable histoire tout simplement parce qu’elle me l’a dit, j’y étais…lorsqu’elle hantait encore la terre
Le vieillard se tu, laissant sa révélation faire son effet dans les esprits des enfants assis à même la terre. Assis sur le banc à côté de l’herboristerie, le vieil homme se dit qu’il avait encore le temps de raconter cette histoire avant que ses médicaments ne soient prêts.


A sa mort, l’esprit de la jeune fille, ivre de colère s’était échappé de son corps et transformé en fantôme. C’était la matrone qui tenait l’okiya qui l’avait trouvée, gisante au fond d’une malle, enfoncée dedans comme une poupée de chiffon. Elle baignait dans son propre sang, exsangue. Elle fut enterrée toujours dans la malle et sa tombe devint le lieu où les jeunes maikos et les geishas venaient raconter leurs peurs afin que la morte les garde avec elle, en elle.
L’esprit, resté près de son corps, écoutait attentivement toutes ces filles et ces femmes raconter les horreurs que leur faisait subir les hommes. Peu à peu, sa colère grandit au point de la transformer en fantôme. Un spectre dont la couleur rappelait l’horrible façon dont elle était morte. Après un an, le fantôme avait une telle colère en lui et acquis une telle force qu’il fut capable de quitter le lieu de sépulture sans ressentir de douleur.
C’est ainsi qu’Akai n’acquis. Dans la douleur, dans le sang. Akai sentait le sang, il l’attirait comme un aimant. Mais pas n’importe lequel, le sang des filles, le sang des maiko et des geisha. Le sang l’appelait. Elle ne le voulait pas, non. Le sang la mettait en colère. Elle ne voulait pas le voir. Sa vue l’écœurait. C’est pour cela qu’elle prenait en chasse tous ceux qui faisaient saignés, d’une manière ou d’une autre, une maiko ou une geisha, hantant les rues de la Ville des fleurs. Tuant les hommes qui osaient faire couler le sang des geishas.
Les hommes avaient ainsi déserté peu à peu ce quartier situé au cœur d’Edo. Les okiyas menaçaient de faire faillite, les geishas n’arrivant plus à ramener de clients, pas même les plus populaires et savantes.
C’est alors qu’un samurai errant entra dans la Ville des fleurs. Son katana était ridiculement petit et les geishas se moquèrent de lui. Il allât d’okiya en okiya pour trouver celle qui lui serait la plus hospitalière. La dernière d’entre elles, la plus petite, la plus délabrée lui offrit ce qu’il cherchait. Toutes les jeunes filles furent aux petits soins avec lui. Elles ne pouvaient se permettre de rejeter ce client exceptionnel car ils étaient rares, surtout ici.
- L’okiya Bara vous souhaite la bienvenue, samurai, que désirez-vous ? ronronna la matrone
- Je cherche celle que l’on nomme Akai, la geisha écarlate
- Le…le fantôme ? bégaya la vieille femme
- Oui, j’ai été engagé par un riche marchand qui se languit de ne pouvoir revenir voir ses favorites, je dois lui ramener le kimono du spectre pour preuve de sa destruction
- Mais…vous voulez tuer un spectre ? comment ?
- Je ne peux te dévoiler tous mes secrets, grand-mère, sache seulement que je ne suis pas venu sans préparation
La vieille femme hocha la tête, dubitative mais ne dit plus un mot, laissant ses filles s’occuper de leur invité. Celui-ci resta à attendre Akai une semaine. Perplexe, il retourna voir la matrone.
- Ah seuls ceux qui versent le sang des geishas sont pourchassés par Akai l’écarlate, tu ne le savais donc pas ?
Devant l’air déconfit du jeune homme, la matrone ne pu retenir un ricanement.
- N’abîme pas trop mes filles se contenta-t-elle de lui lancer en repartant vers sa chambre
Le soir venu, une jeune geisha se présenta à lui et lui offrit ses poignets, l’implorant de sauver son okiya. Elle le força à accepter de la couper afin de faire venir Akai et qu’il puisse la détruire. Il accepta à la condition que cela se passe à l’extérieur, là où il aurait le plus de liberté de mouvements.
- Alors que vous attendiez sagement dans l’okiya depuis une semaine ? questionna-t-elle
- Je pensai courir le plus loin possible des lieux pour la combattre sans avoir à risquer vos vies
La jeune fille éclata d’un rire délicat. Il n’aurait pas tenu plus d’une seconde. Sur la grand place désormais vide seulement éclairée par des lanternes, elle lui présenta à nouveau des poignets. Il lui saisie une main et se contenta de lui écorcher la paume. La lame du katana était si aiguisée qu’elle ne senti pas sa morsure et la plaie, presque invisible à l’œil, ne fit perler qu’une seule goutte de sang. Une goutte qui suffit à attirer Akai. Lorsque le spectre apparu, la geisha s’enfuit en courant, effrayée.
Les deux adversaires se jaugèrent du regard. Akai ne devait pas avoir plus de 20 ans. Ses longs cheveux noirs voletaient dans la brise de la nuit tombante. Elle était magnifique. Ses yeux noirs, pleins de rage, le transperçaient. Il n’arrivait plus à bouger. Elle se précipita sur lui, toutes griffes dehors. A un mètre de lui, elle fut projeter violement en arrière. Sous le coup de la surprise, elle retomba au sol, sans avoir pu se rattraper. Incrédule, elle se releva et attaqua de nouveau. Et comme la fois précédente, elle fut projetée au sol.
Elle se releva, ivre de rage…

- Yoroichi-sama, l’interrompis l’herboriste d’une voix douce, vos médicaments sont prêts !
- Ah merci Akemi-san, répondit le vieillard en se levant péniblement
- Hé grand-père tu n’a pas fini ton histoire ! gronda le jeune garçon, impitoyable
- Si tu m’apporte de l’eau bouillante dans une tasse, que je puisse boire ma décoction, je continuerai mon récit, pas avant, rétorqua le vieil homme
L’enfant se précipita chez lui et en ressorti avec un bol en terre cuite et la théière de sa mère, sourds aux cris de celle-ci. Le vieillard prépara tranquillement sa décoction avant de la boire par petites gorgées, sans prêter le moins du monde attention aux piaillements des enfants qui s’impatientaient.

Akai se releva, gracieuse dans chacun de ses mouvements. Le visage impassible, elle ne fit aucun geste. Elle resta en face du samurai, le jaugeant du regard. Inclinant la tête sur le côté, intriguée, ses yeux se perdirent dans le vide, avant qu’elle ne tourne la tête dans la direction qu’avait prise la jeune geisha. Elle regarda une dernière fois le jeune homme avant de se mettre à glisser à une vitesse ahurissante à la poursuite de la jeune fille, le samurai derrière elle.
Elle rattrapa sans difficulté la geisha qui avait à peine atteint la première maison du quartier de la Ville des fleurs. Elle se senti agrippée et tirée en arrière. Akai lui saisi le bras et retourna sa main paume vers le ciel. Voyant la blessure déjà refermée, Akai plongea ses yeux dans ceux de la jeune fille terrifiée.
- Pourquoi me trahis-tu ? demanda Akai d’une voix étonnamment douce
- Vous…vous nous faites du mal…, sanglota la jeune fille
Akai fronça ses sourcils finement ciselés, faisant pleurer la fille de plus belle. Le samurai arriva en courant. Sans sortir son katana, il approcha lentement près des deux femmes. Saisissant la geisha aux épaules, il la fit reculer derrière lui. Akai ne la retint pas. Reprenant de la confiance en elle avec le samurai à côté d’elle, la geisha essuya son visage avec la manche de son kimono.
- Vous faites fuir les clients, sans eux nous somment perdues, cria-t-elle au visage d’Akai
Akai savait. Une okiya sans clients était vouée à sa perte, les filles à la prostitution, la matrone à la disgrâce pour n’avoir pas su gérer son commerce. Elle hocha la tête tandis que le samurai repoussait la fille loin d’eux. Il ne détachait pas ses yeux du spectre. Elle avait l’air soudain si perdue. Akai lui tourna le dos et flotta lentement à travers les rues étroites et vides vers sa tombe. Elle s’assit sur la terre sèche et sans herbe, son kimono de soie fine étalée autour d’elle. Elle ne voulait que protéger ses sœurs. Au lieu de cela elle n’avait fait qu’empirer les choses. Elle cacha son visage dans ses mains et se mit à pleurer violement. Les geisha préféraient souffrir et garder leurs clients. Elle n’avait plus de but dans sa mort. Elle était inutile. Son existence n’avait plus lieu d’être mais comment faire pour trouver la paix, la vengeance ? Elle avait déjà massacré son bourreau. Il avait été le premier. Elle l’avait pulvérisé sous les yeux de la meiko Nanako qu’il tentait de violer. Les remerciements de la fillette avaient alors touchés son cœur ensanglanté.
Elle releva la tête, le visage baigné de larmes, vers le jeune homme debout face à elle. Lorsqu’il s’approcha, elle cru qu’il la transpercerait de son arme. Elle connaissait ce katana, elle l’avait déjà vu. Il était connu dans le monde des spectres et des démons. L’un des seuls à pouvoir les tuer, ensorcelé par une sorcière puissante. Il en existait trois et elle n’aurait jamais imaginé en voir un. Elle ferma les yeux, attendant le bruit du sabre que l’on sort de son fourreau. Mais le samurai se contenta se s’asseoir à son côté, sans un mot.
Akai tourna la tête vers lui. Elle sentait l’arme vibrer.
- Akai, te souviens-tu de la maiko Nanako ? demanda le jeune homme
Akai hocha la tête. Elle avait pris la fillette dans ses bras pour arrêter ses pleurs.
- C’était mon arrière grand-mère
Akai l’observa d’un œil neuf. Ainsi, Nanako n’était pas devenue geisha. Akai souri en repensant à la petite fille qu’elle avait tenue dans ses bras toute la nuit.
- Quand j’étais petit, ma grand-mère ma raconté ton histoire et la sienne et avant de mourir elle ma fait promettre de t’aider
- Je n’ai pas besoin d’aide, je me suis déjà vengée, l’homme qui l’avait attaquée était mon meurtrier, répondit la jeune fille dans un murmure
Le samurai posa sa main sur la sienne. Les doigts fins de la jeune fille tressaillirent mais elle ne le repoussa pas.
- Non, elle voulait que je t’aide à trouver la paix
Akai hocha la tête. Elle acceptait son destin. Son existence n’était plus nécessaire. Elle avait fait ce qu’elle avait pu pour aider ses sœurs. Elle avait échoué. Le monde ne changera jamais. Le jour allait bientôt se lever. Elle voulait voir le soleil une dernière fois, sentir la brise jouer dans ses cheveux et caresser son visage.
Ils restèrent côte à côte jusqu’au matin. Elle lui raconta certains passages de sa vie, ainsi que sa mort. Le ciel bleu nuit devint gris, puis rose et orange. Akai contempla ce spectacle en paix avec elle-même. Ce fut elle qui rompit le charme de l’instant et se releva. Debout sur sa tombe, face au samurai qui s’était relevé également. Il sorti son katana de son fourreau et le pointa sur Akai.
- Quel est ton nom ? demanda le jeune homme au spectre
- Midori, répondit-elle dans un souffle, et le tiens ?
Le jeune homme enfonça son arme dans le ventre de la jeune fille et la rattrapa tandis que ses jambes flanchaient. Il la serra contre lui. Elle s’accrocha à ses épaules, haletante de douleur, son visage au creux de son épaule musclée. Il se pencha contre son oreille délicate tandis qu’elle disparaissait lentement.
- Je suis le samurai errant, Yoroichi